dimanche, août 11

Dans les coulisses d'Alphaville

- Dites, les gars, ça fait un petit temps qu'on n'a plus eu de hits... Et si on faisait une chanson avec un refrain qui ressemble aux Sparks (esprit crédibilité, cœur de cible post-30, weird-pop, higher-educated). On ajouterait des backing vocals en imitant la voix de Morten Harket (esprit Madeleine Proust, post-30 European female). Ca commencerait par un sifflotement (esprit Vent du Changement, post-réunification, nostalgie conscientisée, Kohl sur les yeux). Enfin, pour ne pas oublier les plus jeunes, qui représentent selon le dernier sondage Facebook, 19,25% de nos fans, on mettra une grosse rythmique dance à la con derrière tout du long, histoire de ne dépayser personne.
- Cool. Y a que toi Marian, pour avoir des idées comme ça. T'es trop fort. C'est comme ce nom de groupe. Tu as vraiment vu ce film en noir et blanc ? J'ai essayé. J'ai compris que dalle. T'es un putain de génie, mec !
- Merci, merci.... Bon, ce petit melting-pot m'a l'air très bien. J'ai un bon pressentiment. Cela dit, faut pas que ça sonne trop groupe sur le retour qui pleure après son succès passé et qui est prêt à toutes les compromissions pour le retrouver. On n'est pas Modern Talking. On donnera à la chanson un titre ironique, comme quoi ce n'est pas aussi putassier que ça en a l'air. On pourrait l'appeler Discreet ou Understated, un titre qui fleure bon la modestie.
- J'ai encore une meilleure idée tiens. On va l'appeler Song For No One.
- Ah ouais. Pas mal. Le message est là. Non, on ne court pas après le tube. Mais personne c'est pas grand monde. Ne risque-t-on pas de penser qu'on ne croit pas à notre chanson, qu'on en a honte ?
- Pas faux, il faut quand même que les gens comprennent qu'on l'aime plutôt bien cette chanson, sinon ils vont partir avec l'impression que c'est nul, et ce serait un épouvantable gâchis d'aromates Sparksiens et d'ersatz vocal Mortenesque... On pourrait ajouter (But Myself) entre parenthèses. Ça sonne bien. Song For No One (But Myself), genre on a écrit une petite chanson entre nous, on l'aime bien, on vous la fait écouter par pure gentillesse. Si on pouvait vous la donner gratuitement et pas la vendre ce serait aussi bien. Pensez donc, une si petite chose... mais vous connaissez la situation : ces labels à l'agonie, ces magasins de disques en ligne ou en dur, avec leurs dents longues et leurs actionnaires assoiffés de millions, ils veulent tous se sucrer au passage. Il faut bien financer le processus. Donc on vous la vend, pas cher....enfin au prix habituel, mais n'oubliez pas que, au départ, c'était vraiment écrit juste pour nous, parce que, écrire des chanson entre nous, c'est notre truc. On est des artistes.....Allez, vendu. Parlons branding à présent. Est-ce que tous ces mélanges seront encore identifiables comme une chanson d'Alphaville ? Il ne faudrait pas que les gens ne sachent pas quel disque demander une fois dans le magasin. Faut quand même que ça sonne comme nous, hein ?
- Rassure-toi, m'fi, je chante toujours pareil, on me reconnaît tout de suite. Ma voix est toujours jeune et sonne comme une mélodie.
- Évidemment. Tu es le Pavarotti de l'électro-pop, je l'ai toujours dit.....Hé, mais c'est des titres à nous, ça. C'est fou, non ? Tu veux dire que tous nos tubes avaient une valeur prédictive ? Attends, je les passe en revue....... Pas sûr que nous ayons été si énormes que ça au Japon, si ?
- J'avais dit gros, pas énorme. Apprends l'anglais. Trois disques d'or. C'est gros, non ? Cela dit, dommage que l'on ne se connaissait pas ce pouvoir d'oracle à l'époque. On aurait pu écrire plein de singles formidables : Masters of The Universe, Filthy Rich, Dating Models, ou Peace on Earth. En fait, tout est parti en couilles, quand on a sorti Universal Daddy.. Je n'osais plus aller en boîte. Tous ces types louches en Pampers qui venaient me trouver en pleurant. C'était horrible.
- Allez courage, Marian. On est reparti du bon pied, là. Tu vas voir.

EDIT : Au final, n°50 en Allemagne, inconnu partout ailleurs. Bien ouéj, les gars.