dimanche, décembre 15

Nouvelle Musique et Musique Contemporaine

Le deuxième volet de mon podcast épisodique est en ligne. J'y quitte ma zone de confort habituelle pour m'intéresser à un genre dont j'aime partir à la conquête mais pour lequel mes connaissances sont sans doute un peu légères. Je m'excuse donc d'avance pour toutes les erreurs factuelles qui pourraient se glisser dans mes commentaires.

Le déclencheur de ce podcast est mon écoute il y a quelques semaines d'un album d'Olafur Arnalds. J'avais été frappé par la complaisance avec laquelle des mélodies simplistes y étaient inlassablement ressassées et surtout par le décalage entre l'indigence de cette musique fade et l'enthousiasme qu'elle suscite chez bon nombre de gens dont je suis en général les coups de cœur avec intérêt.

C'est d'autant plus curieux que toute une scène s'est développée depuis dix ans autour de ce concept, scène à laquelle certains avaient fini par donner le nom de "Nouvelle Musique" : de Yann Tiersen à Nils Frahm, de Max Richter à Olafur Arnalds, de Johann Johannsson à Bill Ryder-Jones. L'inclusion de ce dernier m'est particulièrement pénible : même un membre fondateur d'un de groupes pop les plus enthousiasmants de ces 20 dernières années (The Coral) semblait succomber à cet appel du vide et du rien.

Il me semblait donc intéressant de faire le lien entre l'apparition de cette scène qui, bien qu'elle soit distribuée par des labels indépendants et suivie en majorité par le monde de la pop, du rock et de l'électro (critiques des nouvelles sorties sur Pitchfork ou Stereogum, concerts dans des salles rock, etc...), va chercher bon nombre de ses points de références du côté de la musique classique (instrumentation, orchestration, absence de chants, disparition de la structure couplet-refrain,...) et la peur que suscite chez certains la musique contemporaine dite "savante" (en gros celle que l'on apprend dans les conservatoires et qui s'écrit sur partition).

L'existence de ce lien m'apparaissait d'autant plus évidente que certains membres de cette scène ont un pied dans chaque monde : Nico Muhly par exemple.

Remarquez que ce podcast n'est pas une défense et illustration de la musique contemporaine dans son ensemble. Je reste souvent dubitatif devant l'hermétisme des œuvres de bon nombre de compositeurs d'aujourd'hui mais il me semble que les artistes que j'ai programmés dans ce podcast sont tous susceptibles d'accrocher l'oreille de ceux qui, comme moi, furent biberonnés au rock et à la pop mais ont conservé leur curiosité pour d'autres genres.

Par manque de temps, j'ai dû opérer des choix douloureux, et surtout couper certains morceaux trop longs. Je profite donc de ce billet pour leur donner ici une plus grande visibilité.

Voici la version intégrale de l'oeuvre de Steve Reich :

Variations for winds, Strings and Keyboards par Everest


Voici une version live intégrale d'Abii Ne Viderem de Giya Kancheli :


Voici enfin le lien vers le podcast lui-même, le tracklisting (avec des fautes d'orthographe dans le nom des compositeurs et l'intitulé des morceaux qui ne peuvent pas être corrigées, pour des raisons qui m'échappent) :

 
Pour finir, je vous propose le lien vers la page Spotify correspondant à un album qui aurait dû se trouver dans le podcast mais que j'ai lamentablement oublié d'inclure : le concerto pour violoncelle d'Olivier Greif. Je conseille en particulier le cinquième mouvement (plage 5).


 

Live-blogging en différé des NRJ Music Awards.

Je vous fais un live-blogging des NRJ Music Awards ? Oh oui alors :
- L'entrée de Stromae est parfaite. Ça garçon à vraiment du talent pour le marketing et la mise en scène. Il va falloir que je me décide à écouter son album.
- Florent Pagny, je ne peux vraiment pas. La répugnance est trop forte.
- Les filles, ça crie fort.
- Mettre Robin Thicke et Pharrell Williams dans la catégorie groupe ou duo de l'année, c'est un peu grotesque. C'est à peine un featuring.
- Je n'ai jamais entendu parler d'une seule des révélations francophones de l'année.
- Katy Perry en playback décalé de trente secondes. Arf. On arrête tout puis elle repart en vrai live. J'aurais bien aimé savoir ce qui était prévu au départ : du live ou du play-back ?
- Roar est un tube immense.
- Les Français ont créé un flic de télévision appelé Falco ? Je kiffe. J'espère qu'il est commissaire.
- Ah, Christophe Maé, ! le seul chanteur qui fasse toujours la même chanson, mais à chaque fois en pire. Ça forcerait presque l'admiration ! (Nikos : "le plus talentueux de sa génération")
- Zaz, on n'ira pas. Keen'V à présent : ne sait pas chanter, un mélange improbable entre une rythmique euro dance circa 1998, le parler de Grand Corps Malade, les chœurs de Zouk Machine et un charisme d'huitre goudronnée... Je crois que je faisais bien de ne pas connaître en fait.
- Will.I.Am qui chante Scream and Shout en remplaçant Britney par Alizée. Lolita pour Lolita, on perd au change.
- Emmanuel Moire ne chante pas très bien, mais les paroles sont de toute beauté.

Je peux seulement te dire Qu'il m'a fallu la peur pour être rassuré Que j'ai connu la douleur avant d'être consolé
- Puis-je avouer que le clip des One Direction m'a fait rire ?
- Il va falloir que j'écoute l'album d'Alex Hepburn. Ce Under est pas mal du tout.
- Story Of My Life est de loin la meilleure chanson que One Direction ait sorti jusqu'à présent, mais on dit direkcheun ou daillereckcheun finalement ? Même Nikos ne semble pas très sûr.
- Tous les nobodies de la soirée qui sont arrivés dans la salle en limousine et chantent Ma liberté de penser ("une chanson à texte qui fait réfléchir" selon Nikos). Ça y est. Je vomis.
- Will.I.Am est tellement nul que même si il est le seul artiste masculin à faire le déplacement à Cannes, c'est quand même Bruno Mars qui gagne.
- Le duo improbable : Tal et James Arthur qui chante Impossible. Une chanson que j'aime bien, mais dont j'ai récemment appris que c'était une reprise. Je me disais bien que c'était étonnamment bon pour un gagnant de X Factor.
- Plamondon et Berger, en inventant le concept de comédie musicale à la française, ont tout de même fait beaucoup de tort à l'humanité.
- James Blunt et Birdy qui chantent Mandela Day. Les limites du n'importe quoi sont allègrement atteintes.
- Les Robins des Bois chanteurs, c'est les mêmes que ceux qui faisaient les comiques sur Canal+ ?
- Et à la fin, c'est Stromae qui gagne.

Maintenant, je m'en vais réécouter du Varèse et du Steve Reich en prévision de l'upload de ce soir. La transition sera rude.

jeudi, novembre 7

Oh, un nouveau jouet !!

Depuis tout petit, je me dis que animateur et/ou programmateur sur une radio musicale, c'est un peu le boulot rêvé de tout qui vit un peu intensément son rapport à la musique enregistrée. Et pourtant, je n'avais jamais ressenti jusqu'à récemment l'envie de m'y essayer, sans doute parce que l'occasion ne s'est jamais présentée.

Et puis au début de cette année, devant organiser un blind-test pour un groupe d'amis, j'ai dû apprivoiser des logiciels de montage sonore, de découpe et d'édition de mp3, ce qui m'a permis de me rendre compte que, finalement, ce n'était pas techniquement si difficile d'enchaîner quelques morceaux et d'enregistrer des voix pour les relier.

Depuis lors, cette envie de créer mon propre programme musical n'a fait que croître, jusqu'à sa concrétisation cette semaine.

Le premier écueil fut de décider le type d'émission que je voulais faire : sur un thème, rétrospective sur un artiste, concentrée sur les nouveautés, sur les vieilleries. J'ai rapidement décidé de ne pas marcher sur les plates-bandes de podcasts déjà bien installés et que j'apprécie. Pour les nouveautés plus ou moins confidentielles, il existe déjà Diagonales et Substance, tous les deux indispensables. Je ne vois pas ce que je pourrais ajouter dans le domaine de l'éclectisme thématique aux formidables Inspecteurs des Riffs,  et je ne cite ici que des podcast de ma province.

J'ai donc choisi de ne pas trop me spécialiser dans un premier temps, de laisser toutes les portes ouvertes, au gré de l'inspiration. Seule chose sur laquelle j'ai une certitude : l'éclectisme régnera en maître. Je tenterai de ne pas me laisser dicter ma conduite par les ayatollahs du bon goût et de la crédibilité, me fiant à mon seul goût, quitte à surprendre et déconcerter. S'il est peu probable que de nombreux électeurs se retrouveront dans l'ensemble de la programmation. Il est à espérer que chacun pourra se raccrocher à l'un ou l'autre morceau.

Ce premier essai m'a aussi permis de prendre conscience que créer une émission d'une heure, même en n'ayant pas d'exigences techniques démesurées est un gros travail, et qui plus est assez ingrat, certainement bien plus ingrat que celui d'écrire un billet de blog, même long, où apparaît naturellement le plaisir de la manipulation (plus ou moins) respectueuse du langage, du sens qui se révèle lentement au fil des réécritures, etc.. J'éprouve un plaisir nettement plus faible à me dépatouiller de problèmes techniques ou informatiques.

Je ne sais dès lors pas trop à quelle fréquence l'expérience sera amenée à se reproduire. Je suppose que cela dépendra en partie de l'intérêt qu'elle suscite.

Pour l'instant, je suis preneur de toutes les remarques que vous pourriez me faire : longueur de l'émission, débit de la voix, qualité technique du son, enchaînement des séquences, longueur des morceaux, bruit de fond, prononciation des mots anglais, etc.. Mon envie d'apprendre n'a ici d'égale que mon besoin d'apprendre.

Je commence, en listant les choses qui sont déjà manifestement à améliorer :
- Malgré tous mes efforts pour les rendre aussi neutres que possible, certaines de mes interventions sonnent sans doute encore terriblement prétentieuses (la prétention des animateurs a déjà tué pour moi plus d'un podcast). C'est une lutte permanente.
- Il faut vraiment que je fasse attention à mes "r" en anglais. Ils ont une fâcheuse tendance à se muer en "w"
- Étais-je vraiment obligé de prononcer "fukd" avec cette intonation gourmande du chenapan tout émoustillé par son usage d'un gros mot ?
- Pour des raisons que j'ignore, le bruit de fond lors des séquences parlées a été multiplié par trois aux environs de la moitié de l'émission... Si quelqu'un a une explication, je suis preneur (j'utilise pour l'instant Audacity, qui a l'avantage d'être gratuit et de proposer toutes les options dont je pourrai avoir besoin)

Pour finir, une question plus pratique. Dois-je m'inquiéter des droits à la SABAM pour mon misérable petit mixcloud perdu au milieu du grand vilain Internet, qui regorge d'albums complets disponibles en téléchargement gratuit ?

Le lien vers la première émission de Popapapop (tu piges ?) est ici. La playlist est disponible en suivant le même lien.



mercredi, septembre 25

Pet Shop Boys - Electric (III)

8 - Thursday (7/10)

Le type même de la chanson schizophrène, Thursday englobe à la fois le zénith et le nadir de l'album. Les couplets, particulièrement les "Over, Over, Over" répétés ad nauseum sont très pénibles, à la fois par la maladresse de leur composition que par la manière forcée dont Neil les chante. En revanche, les refrains sont très bons, particulièrement l'énumération des jours par Chris (mais bon, depuis Paninaro, toute énumération de Chris est par définition un grand moment).

Cela étant dit, je ne peux m'empêcher de penser que les paroles sont embarrassantes. A 60 ans passés, quand on n'a plus connu une seule semaine de travail lundi-vendredi métro-boulot-dodo depuis presque 25 ans, le week-end n'est plus depuis longtemps synonyme de repos bien mérité. Dès lors, est-il encore bien raisonnable d'écrire une ode aux long weekends romantico-festifs ? Certains diront que romance et esprit de fête sont les sujets pop par exemple et que, quel que soit l'âge de l'interprète, le genre demande ce type de paroles, hédonistes et vides de sens. Peut-être est-ce vrai (l'exemple de ces cinquante dernières années semblerait le confirmer), mais le groupe a suffisamment clamé vouloir représenter "Che Guevara et Debussy to a disco beat" pour que l'on puisse légitimement se sentir trahi par ce "party romance and D. Guetta to a cheap dance beat".

Example, présent ici en featuring, est un artiste insituable, assez peu connu me semble-t-il par ici mais superstar en Angleterre (signe qui ne trompe pas : il a épousé une top-model). Je ne sais trop si je dois voir en lui un producteur de dance, un rappeur ou un chanteur pop. Je ne sais même pas comment il se définirait lui-même. J'avoue apprécier Changed The Way You Kissed Me, très efficace dans le genre pop-dance-hands-in-the-air (un peu comme Titanium de David Guetta.... je n'ai jamais caché mes faiblesses) mais j'ai aussi eu la malchance en juin dernier de zapper sur son concert à Glastonbury, qui faisait peine à voir. Toutes les chansons se ressemblaient et ses efforts, de plus en plus désespérés, pour susciter des réactions de la foule donnaient vraiment l'impression d'un artiste au bout du rouleau, tordant désespérément son petit torchon créatif jusqu'à s'en écorcher les paumes pour en extraire une dernière goutte de succès.

L'annonce de sa participation à l'album m'avait donc un peu inquiété. C'était sans doute un bon moyen de se donner de la visibilité chez "les jeunes", cette tranche du public pop que les PSB n'ont plus touchée depuis au moins quinze ans, mais ne risquaient-ils pas ce faisant de perdre leurs derniers restes de crédibilité ? En fait non, je dois dire que la collaboration fonctionne étonnamment bien, pas tant pour le rap, poussif, que pour la partie chantée qui suit, qui forme un parfait contrepoint au refrain.

 

9 - Vocal (7,5/10)

De toutes les chansons de l'album, c'est de celle-ci que le groupe est le plus fier. Ils l'ont souvent citée comme faisant partie des sommets de leur carrière. Je peux en partie comprendre pourquoi : il s'agit d'une de ces rares chansons dont la construction, le propos et le style sont en parfaite adéquation. La chanson rend hommage au format pop classique, chanté, à l'euphorie temporaire qu'une voix, une mélodie peuvent provoquer lorsqu'on les entend sur une piste de danse, dans une soirée entre amis, ou même simplement dans des écouteurs de son lecteur mp3.

Cette notion d'extase auditive est ici portée par une construction en couches successives, avec des harmonies essentiellement montantes, qui symbolisent la lente montée de l'auditeur vers le nirvana, ces quelques secondes magiques où les meilleures chansons pop parviennent à faire fusionner le plaisir du son, de la mélodie et du rythme, l'air du temps et un sentiment, vague mais indiscutable, que l'instant présent contient des germes d'éternité.

Cette insistance sur la présence de voix (Vocal) exprime sans doute aussi en catimini leurs regrets devant une pop moderne devenue plus générique, moins personnelle, qui se contente d'exprimer des sentiments vagues et génériques et n'est plus l'expression d'individus, parlant avec leur vraie voix (sans vocoder ou auto-tune) de sentiments qui leur sont propres (comme ce fut le cas durant cette décennie bénie que fut 1977-1987). Il est dommage dans ces conditions que la production sur Vocal s'abandonne aux pires tics de la dance contemporaine. Les coups de marteau-piqueur de synthés à 3:09 par exemple sont typiques de l'EDM actuelle (Calvin Harris et David Guetta en tête) et, à ce titre, symbolisent sans doute la pop actuelle dans ce qu'elle a de plus industriel. Je rêve d'entendre une version de ce morceau qui serait plus dépouillée, plus minimale. Ce propos, cette mélodie et ces harmonies méritent mieux qu'un son calibré pour les virées en décapotable sur les plages d'Ibiza. Dommage que, dans la flopée de remixes officiels, pas un ne soit parvenu à habiller le morceau avec la simplicité qu'il requiert et qui fait cruellement défaut dans cette version album.

 



Une moyenne arithmétique me donne finalement une note globale d'environ 7 pour l'album, qui me semble une mesure assez fidèle de ce que je pense. Chacun de ces morceaux pris individuellement (sauf Bolshy) sont de bonne facture. Ils remplissent tous les objectifs qui leur ont été assignés : faire danser, sonner moderne, en mettre plein les oreilles, etc...

C'est en considérant l'album dans son ensemble que je me surprends à regretter l'oblitération de toute une palette de sentiments que le groupe a si souvent su magnifier : la mélancolie, le regret, la distance, l'ironie. C'est un disque optimiste, hédoniste, volontariste, sûr de lui et de ses effets, mais sans nuances, sans vision et sans réelle humanité. A ce titre, il représente un virage que je ne suis pas sûr d'approuver et le fait qu'ils n'avaient plus reçu d'aussi bonnes critiques depuis vingt ans me fait craindre qu'ils ne persistent dans cette direction à l'avenir. L'ère des Invisible, des Rent ou des The Way It Used To Be est peut-être définitivement révolue.

Pet Shop Boys - Electric (II)

4 - Fluorescent (9/10)

Les paroles célèbrent la vie facile d'un(e) jet-setter, croisant de riches oligarques (sans doute russes) dans le luxe et la futilité des soirées privées, ivre de jeunesse, d'argent et de succès. La musique en revanche est sombre, inquiétante, obsédante, pleine d'échos, de gémissements et de lents glissandos de synthés qui augmentent encore l'impression d'instabilité qui s'en dégage. Ce contraste est sans doute censé signifier que le succès et la jeunesse n'ont qu'un temps (quelqu'un a des nouvelles de Paris Hilton ?) et que l'obscurité et l'oubli lui tendront bientôt les bras. En cela, Fluorescent rejoint la longue série des chansons écrites par le groupe sur le thème du vieillissement et de l'inconstance du succès, mais avec moins d'empathie que sur Invisible par exemple, et dans un registre plus ironique que mélancolique.

Par ailleurs, le timbre de voix de Neil Tennant perd depuis quelques années beaucoup de sa richesse dans les aigus, ce qui fait que les producteurs les plus avisés l'encouragent de plus en plus souvent à utiliser son registre grave, en général de manière très efficace, comme le prouve encore ce morceau. Je ne désespère pas d'entendre un jour un album où il ne chanterait plus que comme ça.



5 - Inside A Dream (6/10)

Une des chansons les plus frustrantes de l'album. Elle "sonne" très bien, avec une basse syncopée et entêtante comme ils n'en avaient plus enregistré depuis longtemps, mais on se rend malheureusement vite compte que la chanson n'a pas grand chose à dire, à la fois dans les textes (en gros, tout, même la musique, semble meilleur et un peu bizarre durant la nuit, dans les rêves) et dans le développement musical : les transitions entre couplet et refrain sont laborieuses et les deux moitiés de la chanson sont quasiment identiques, sans progression discernable. Inside A Dream est une de ces chansons qui auraient pu faire il y a vingt-cinq ans une face B de bon calibre (genre Was That Was It Was?, même si cette dernière est par ailleurs une meilleure chanson) mais souffre de voir son manque de substance ainsi exposé dans l'écrin d'un album.



6 - The Last To Die (8/10)

L'opposition entre pop et rock a toujours été au centre des préoccupations de Neil Tennant qui ne s'est jamais privé en interview de railler l'esprit de sérieux des rockstars ou le simplisme de leurs mélodies et de leurs arrangements. Les anecdotes, possiblement apocryphes, où Neil Tennant et divers musiciens rock se chamaillent pour savoir quel genre domine l'autre, abondent (Bono aurait par ailleurs dit en entendant Where The Streets Have No Name pour la première fois, 'What have we done to deserve this?'). Cela dit, en vieillissant, ces guéguerres de chapelle ont tendance à s'éteindre. Pour preuve, il semblerait bien que cette reprise est un hommage (gasp !) sincère (double gasp !) à Bruce Springsteen.

Si on la compare au morceau original, une reprise permet souvent d'approcher au plus près des processus de création qui ont présidé à sa réalisation, voire parfois de discerner leurs motivations. C'est particulièrement le cas ici car les deux versions sont assez différentes. Outre l'utilisation attendue et inévitable d'électronique ou de percussions synthétiques (même si les sons de guitares distordus et filtrés aux alentours de 1:00 sont un hommage discret mais inspiré aux origines rock de la chanson), des lignes de texte sautent, parfois de manière compréhensible (Darling n'est pas un mot que Neil Tennant pourrait utiliser au premier degré), parfois pas (pourquoi supprimer The wise men were all fools ?). Les mélodies sont simplifiées (ou peut-être plus précisément "popifiées", les tics des deux genres étant sans doute plus différents d'un point de vue stylistique que qualitatif). Le riff de guitare du départ est réinventé en mélismes de synthé au milieu du morceau, etc..

On pourrait discuter des heures sur le caractère fondé ou non, nécessaire ou non, de ces différents changements pris individuellement mais force est de constater en écoutant le résultat de toutes ces modifications que la chanson trouve parfaitement sa place sur l'album, et plus généralement dans l'univers des PSB, ce qui en fait sans doute leur meilleure reprise depuis Always On My Mind.



Version de Springsteen : http://www.youtube.com/watch?gl=BE&v=HYnDXSbrHa4


7 - Shouting in the evening (7/10)

Le titre est inspiré par un grand acteur de théâtre (je ne suis plus sûr duquel, Michael Gambon ?) qui aurait décrit en ces mots son métier. Cela dit, ce sont à peu de choses près les seuls mots qu'on y entend, le morceau est essentiellement instrumental, qui, chose finalement plutôt rare dans la discographie du groupe, sonne contemporain de ce que l'on peut entendre aujourd'hui dans l'électronique "moyen public" (entre les niches Kompakt et Warp et l'EDM de stade de Skrillex, Tiestö et autres). On peut y sentir des réminiscences drum'n'bass, hardcore-techno, et même par moments dubstep (à partir de 2:30), qui s'enchaînent de manière très efficace. Il donne par conséquent un peu l'impression d'être un oasis de contemporanéité au milieu d'un album qui, malgré tous ses efforts pour être dans l'esprit du temps, sonne quand même souvent comme un album des PSB, et par conséquent un peu daté/vintage (ce n'est pas un reproche dans ma bouche).

Shouting In The Evening semble finalement nous dire : Regardez, on suit de près les dernières tendances, on peut même en imiter certaines, comme des exercices de style, mais on ne va pas pour autant renoncer au son qui nous caractérise depuis trente ans. Alors, en guise de compromis, on vous a rassemblé tout ça dans un morceau de cinq minutes, clos sur lui-même, comme un vivarium au milieu d'un zoo en plein air.

Au moins a-t-il ici le mérite de courir après l'époque de manière efficace (pour voir le côté négatif de cette recherche de contemporanéité, il faudra attendre le dernier morceau de l'album).



(la suite ici)  

jeudi, septembre 19

Pet Shop Boys - Electric (I)

Les Pet Shop Boys n'ont jamais pour moi été un groupe à tubes, juste bons à sortir des singles de dance légère pour faire se trémousser les foules. Dans mon esprit, ce sont avant tout des songwriters qui pensent leur carrière sur le long terme et peuvent canaliser leur flux créatif sur plusieurs années (une "era") pour produire un ensemble cohérent de singles, de faces B, de morceaux d'albums, chaque catégorie ayant ses spécificités propres (même si leur incapacité à choisir les bons singles est un sujet de plaisanterie parmi les fans depuis presque 20 ans).

De ce point de vue, les dix dernières années ont été plutôt positives. Après trois albums patchworks (Bilingual, Nightlife, Release), où les style des nombreux producteurs invités étaient en compétition pour l'attention de l'auditeur, chaque nouvel album depuis Fundamental est une oeuvre homogène, pensée avec un producteur unique (Trevor Horn, Xeonamania, Andrew Dawson), avec une tonalité propre qui se déclinait naturellement dans le choix des singles, les interprétations live, les faces B, les vidéos, etc. (même si j'ai quelques réserves sur Elysium, qui peine selon moi à maintenir son unité de style).

Sur le papier, ce nouvel album continue sur cette lancée positive. Il a été pensé du début à la fin comme une collaboration avec Stuart Price (Les Rythmes Digitales, Zoot Woman, par ailleurs producteur pour Madonna ou remixeur à gages). Prenant le contre-pied d'Elysium, l'album précédent, il assume entièrement son côté dance, inspiré sans doute par le triomphe du genre au niveau mondial, en grande partie dû au goût soudain et inattendu pour l'EDM du grand public américain, resté jusque là assez rétif à toute forme de dance-music.

Les morceaux sont longs, comme à la grande époque d'Introspective, et clairement formatés pour les clubs (*). C'est sans doute là que se situe le problème pour moi. La communauté des fans des PSB a toujours été divisée entre les clubbers et les poppeux, entre les fans de remix trance et les amateurs de faces B expérimentales, entre ceux qui ne jurent que par le hi-NRG et ceux qui préfèrent les morceaux plus calmes et mélancoliques. Vous ne serez sans doute pas surpris d'apprendre que je me situe résolument dans la seconde catégorie. Je peux compter sur les doigts d'une main mes sorties en boîte(*) et ma pratique de la danse se limite à un dandinement intermittent et maladroit sur ma chaise, ou plus rarement debout, les deux pieds ne décollant alors jamais du sol. La musique pour moi parle avant tout à la tête, et pas aux membres, aux épaules ou au bassin, ce qui paraîtra sans doute à certains comme une limitation mais ne m'a jamais empêché de vivre intensément mon rapport à la chose musicale (c'était la minute Mireille Dumas).

Je joue de malchance car, pour la première fois depuis très longtemps, depuis leurs débuts serais-je même tenté de dire, les Pet Shop Boys ont sorti un album qui délaisse presque complètement la tête pour ne s'adresser qu'au reste du corps.

Voici donc le compte-rendu d'un disque de dance par quelqu'un qui n'aime pas la dance. Vous êtes libres de l'ignorer comme vous ignoreriez le billet d'humeur d'un tétraplégique qui ne comprendrait pas l'attrait de la nouvelle Wii ou d'un borgne qui se plaindrait que le cinéma 3D n'apporte vraiment rien de neuf.

1 - Axis (8/10)

La diffusion de cette vidéo quelques semaines avant la sortie de l'album était une déclaration d'intention plutôt prometteuse. 5 minutes 30 quasiment instrumentales, avec comme seules paroles des slogans simplistes du type "Electric Energy, e-electric energy, turn it on". Après trente secondes de mise en appétit s'installe une rythmique assez irrésistible, que certains trouveront sans doute un peu datée (le groupe ne s'éloigne jamais tout à fait de ses fondamentaux 80s et/ou disco), sur laquelle des couches sonores vont se superposer, jusqu'à une certaine forme de psyché-synth tourbillonnant (voir à 3:30, version album, par exemple). Cette complexification progressive du propos, le subtil contrepoint des chœurs font que même si cela reste un morceau formaté pour les clubs (*), il supporte assez bien l'écoute au casque. Placer ce titre en ouverture de l'album était une évidence. Il fonctionne parfaitement comme introduction, avant d'entrer dans le vif du sujet.



2 - Bolshy (4/10)

Dommage que le vif du sujet commence aussi platement : un refrain indigent, une modulation téléphonée que même Frédéric François aurait hésité à utiliser (à 2:11), un texte minimaliste et crétin qui ne dit absolument rien. Rarement chanson des Pet Shop Boys aura aussi clairement manifesté sa totale absence d'ambition. Le break plus percussif à 2:50 semble un instant prometteur, ce qui rend le retour de cet insupportable refrain cinquante secondes plus tard d'autant plus rageant. La seule qualité que je peux trouver à ce morceau est de m'avoir appris un nouveau mot (yeah!), qui plus est un nouveau mot qui ne se prononce pas comme on pourrait le croire (double yeah!). Au moins, le lexicophile anglopathe qui sommeille en moins y trouve-t-il son compte.



3 - Love Is A Bourgeois Construct (7,5/10)

Clairement sur papier la chanson la plus prometteuse. Les paroles (le titre est emprunté à David Lodge) sont du Neil Tennant à l'état pur (Schadenfreude, Karl Marx et Tony Benn dans une même chanson.... qui d'autre ?). Un ancien universitaire s'y complaît dans son insuccès professionnel et amoureux, préférant voir tous les aspects de la société contre lesquels il se heurte comme des aberrations vides de sens et se considérer comme le dernier rempart de la lucidité contre un formatage orwellien des mentalités. L'emprunt d'une mélodie de Purcell/Nyman fonctionne ici plutôt bien (ça n'a pas toujours été le cas, cfr Hold-On-gate sur le précédent album). Le problème ici est plutôt musical. Le beat est insistant, le son étriqué, la mélodie un peu plan-plan. Après trois couplets qui s'enchaînent sans relief, le refrain vient un peu relancer la machine, mais je ressors néanmoins de la chanson avec un sentiment de trop peu. J'aurais voulu plus de surprises, une occasion de vraiment m'enflammer. La chanson avait le potentiel d'être un des sommets de leur répertoire et se révèle juste correcte.



(* je ne sais trop si je dois dire dancing, club, boîte de nuit ou autre chose pour ne pas sembler trop prétentieux, trop ringard ou, pire, trop faux jeune. Remplacez par le terme qui vous semble coller le mieux à votre image de moi)

(la suite ici)

dimanche, août 11

Dans les coulisses d'Alphaville

- Dites, les gars, ça fait un petit temps qu'on n'a plus eu de hits... Et si on faisait une chanson avec un refrain qui ressemble aux Sparks (esprit crédibilité, cœur de cible post-30, weird-pop, higher-educated). On ajouterait des backing vocals en imitant la voix de Morten Harket (esprit Madeleine Proust, post-30 European female). Ca commencerait par un sifflotement (esprit Vent du Changement, post-réunification, nostalgie conscientisée, Kohl sur les yeux). Enfin, pour ne pas oublier les plus jeunes, qui représentent selon le dernier sondage Facebook, 19,25% de nos fans, on mettra une grosse rythmique dance à la con derrière tout du long, histoire de ne dépayser personne.
- Cool. Y a que toi Marian, pour avoir des idées comme ça. T'es trop fort. C'est comme ce nom de groupe. Tu as vraiment vu ce film en noir et blanc ? J'ai essayé. J'ai compris que dalle. T'es un putain de génie, mec !
- Merci, merci.... Bon, ce petit melting-pot m'a l'air très bien. J'ai un bon pressentiment. Cela dit, faut pas que ça sonne trop groupe sur le retour qui pleure après son succès passé et qui est prêt à toutes les compromissions pour le retrouver. On n'est pas Modern Talking. On donnera à la chanson un titre ironique, comme quoi ce n'est pas aussi putassier que ça en a l'air. On pourrait l'appeler Discreet ou Understated, un titre qui fleure bon la modestie.
- J'ai encore une meilleure idée tiens. On va l'appeler Song For No One.
- Ah ouais. Pas mal. Le message est là. Non, on ne court pas après le tube. Mais personne c'est pas grand monde. Ne risque-t-on pas de penser qu'on ne croit pas à notre chanson, qu'on en a honte ?
- Pas faux, il faut quand même que les gens comprennent qu'on l'aime plutôt bien cette chanson, sinon ils vont partir avec l'impression que c'est nul, et ce serait un épouvantable gâchis d'aromates Sparksiens et d'ersatz vocal Mortenesque... On pourrait ajouter (But Myself) entre parenthèses. Ça sonne bien. Song For No One (But Myself), genre on a écrit une petite chanson entre nous, on l'aime bien, on vous la fait écouter par pure gentillesse. Si on pouvait vous la donner gratuitement et pas la vendre ce serait aussi bien. Pensez donc, une si petite chose... mais vous connaissez la situation : ces labels à l'agonie, ces magasins de disques en ligne ou en dur, avec leurs dents longues et leurs actionnaires assoiffés de millions, ils veulent tous se sucrer au passage. Il faut bien financer le processus. Donc on vous la vend, pas cher....enfin au prix habituel, mais n'oubliez pas que, au départ, c'était vraiment écrit juste pour nous, parce que, écrire des chanson entre nous, c'est notre truc. On est des artistes.....Allez, vendu. Parlons branding à présent. Est-ce que tous ces mélanges seront encore identifiables comme une chanson d'Alphaville ? Il ne faudrait pas que les gens ne sachent pas quel disque demander une fois dans le magasin. Faut quand même que ça sonne comme nous, hein ?
- Rassure-toi, m'fi, je chante toujours pareil, on me reconnaît tout de suite. Ma voix est toujours jeune et sonne comme une mélodie.
- Évidemment. Tu es le Pavarotti de l'électro-pop, je l'ai toujours dit.....Hé, mais c'est des titres à nous, ça. C'est fou, non ? Tu veux dire que tous nos tubes avaient une valeur prédictive ? Attends, je les passe en revue....... Pas sûr que nous ayons été si énormes que ça au Japon, si ?
- J'avais dit gros, pas énorme. Apprends l'anglais. Trois disques d'or. C'est gros, non ? Cela dit, dommage que l'on ne se connaissait pas ce pouvoir d'oracle à l'époque. On aurait pu écrire plein de singles formidables : Masters of The Universe, Filthy Rich, Dating Models, ou Peace on Earth. En fait, tout est parti en couilles, quand on a sorti Universal Daddy.. Je n'osais plus aller en boîte. Tous ces types louches en Pampers qui venaient me trouver en pleurant. C'était horrible.
- Allez courage, Marian. On est reparti du bon pied, là. Tu vas voir.

EDIT : Au final, n°50 en Allemagne, inconnu partout ailleurs. Bien ouéj, les gars.

lundi, juillet 29

Chronique geek.

Écouter Exile, le deuxième album de Hurts, tellement inférieur au précédent qu'on en vient à douter qu'ils soient l'œuvre du même groupe, et se rappeler irrésistiblement ce passage de Lovecraft, tiré de Les Montagnes Hallucinées.


En reprenant notre marche, nous jetâmes un rayon de la torche sur les murs du tunnel, et nous nous arrêtâmes brusquement, stupéfaits du changement radical survenu dans les sculptures de cette partie du passage. Nous étions conscients, bien sûr, de la nette dégradation de la sculpture des Anciens à l’époque du creusement des tunnels et nous avions noté aussi le travail inférieur des arabesques dans les parties précédentes. Mais à présent, dans cette zone plus profonde au-delà de la caverne, une soudaine différence décourageait toute explication – une différence fondamentale, de nature aussi bien que de simple qualité, et supposant une régression si profonde et si désastreuse du savoir-faire que rien, dans les signes de déclin observés précédemment, ne pouvait le faire prévoir.

Ce nouvel art dégénéré était grossier, prétentieux et manquait totalement de finesse dans les détails. Il était creusé à une profondeur excessive, en bandes selon la même ligne générale que les cartouches répartis dans les anciennes séries, mais la hauteur des reliefs n’atteignait pas le niveau de la surface. Danforth pensait qu’il s’agissait d’une seconde gravure – une sorte de palimpseste obtenu par oblitération du dessin primitif. C’était essentiellement décoratif et conventionnel et consistait en spirales et en angles qui suivaient grossièrement la tradition mathématique du quintile des Anciens, bien qu’il s’agisse plus d’une parodie que d’un prolongement de cette tradition. Nous ne pouvions nous ôter de l’esprit que quelque facteur foncièrement étranger s’était ajouté au sentiment esthétique, derrière la technique – élément étranger, selon Danforth, qui était responsable de cette substitution manifestement laborieuse. C’était semblable et pourtant bizarrement différent de ce que nous avions appris à reconnaître pour l’art des Anciens ; et me revenaient sans cesse à la mémoire ces œuvres hybrides comme les sculptures maladroites de Palmyre à la manière romaine. 

Peut-être Theo et Adam sont-ils morts et leurs corps colonisés par des lézards et des poulpes colossaux issus d'un monde d'avant le monde, se trémoussant au son de la flûte ténébreuse de Nyarlathotep, le Chaos Rampant. Je lance l'hypothèse.

Premier album :




Second album : 

vendredi, juin 21

Méditation sur le passage du temps et l'impermanence des enthousiasmes

Parmi tous les gens qui écoutent de la musique, l'acheteur de CD, celui qui ne se contente pas du streaming Spotify, de la radio ou des vidéos sur Youtube, celui qui classe, qui range et qui archive compulsivement, celui-là accorde sans doute une importance plus grande à la reproductibilité de ses sensations.

Il veut que le plaisir qu'il a pris à écouter tel ou tel disque soit toujours à portée de main, disponible sur une étagère, au prix de quelques manipulations qui prendront d'ailleurs très vite la forme d'un rituel : le doigt qui parcourt la tranche des disques à la recherche du bon CD, la marche vers le lecteur, l'ouverture du boîtier, la brillance du disque réveillé de l'obscurité de son stockage, comme un avant-goût de l'éblouissement à venir, puis la saisie du disque à deux doigts à la main droite, l'allumage du lecteur et l'ouverture du tiroir à la main gauche, la pose du CD et puis l'appui répété sur ►► pour atteindre la plage voulue.

Au prix de ces quelques gestes, tout plaisir doit être reproductible. C'est dans le contrat tacite qu'il a signé avec les artistes et l'industrie musicale : il a payé le disque, les étagères, le lecteur, l'ampli et les baffles, il a installé tout ce matériel dans la meilleure pièce dont il dispose. Son plaisir d'écoute doit donc être à disposition, hic et nunc, quoi qu'il arrive.

C'est la raison pour laquelle un disque que j'ai adoré, dont je me souviens avec précision de la première écoute, vécue comme la plongée délicieuse dans une œuvre qui m'a submergé, comme la rencontre miraculeuse entre un artiste et un auditeur qui semblaient avoir vécu toute leur existence pour en arriver à cet instant magique, un tel disque ne devrait jamais me décevoir.

Si, lorsque je le réécoute, ce disque m'apparaît plus quelconque, plus attendu, moins terrassant, si le plaisir n'est plus au rendez-vous ou se révèle juste amoindri, étriqué, un terrible sentiment de deuil s'empare de moi.

Le disque est toujours là, inchangé, immuable. Il a conservé toute sa faculté à transporter quasiment à l'identique les ondes sonores qui emplissaient le studio d'enregistrement vers mon chez moi. Je reçois ces ondes à l'identique. Et pourtant le plaisir n'est plus là.

Le problème doit donc être ailleurs, en moi-même. C'est moi qui dois avoir perdu ma capacité d'émerveillement, mon aptitude à être ému, à trouver de la beauté dans ce qui m'entoure, à être emporté par le discours ou la pensée d'autrui. Moi seul suis coupable d'avoir tué la beauté et annihilé le plaisir.

De tous les éléments censés garantir la pérennité de ma faculté d'émerveillement face à la musique, celui qui fait défaut est celui sur laquelle j'aurais dû a priori avoir la plus grande emprise, celui qui ne concerne que mon corps et mon esprit.

Il est douloureux de se rendre compte qu'il est au fond plus facile de maîtriser des objets ou une technologie extérieure que les processus incroyablement complexes qui se produisent entre l'oreille et le cerveau de chacun d'entre nous, processus qui peuvent sans raisons apparentes, du jour au lendemain, se modifier ou disparaître.

Au fond, un disque que l'on n'aime plus est un avertissement, un rappel de notre mortalité, comme un pas de plus vers l'assèchement final et la tombe.