vendredi, septembre 21

Pet Shop Boys - Elysium (III)

9 - Give It A Go (7,5/10)

Au milieu des années 80, Neil expliquait que l'amour vous tombait dessus sans prévenir et qu'il était futile de résister (Love Comes Quickly). Au début des années 2000, il prétendait au contraire que l'amour était un choix conscient et qu'il ne fallait pas venir se plaindre après (You Choose). Ici, le romantisme de la première proposition et le pessimisme de la seconde se diluent dans quelque chose de plus indéfinissable, à la fois moins idéalisé et plus léger : et si, en attendant mieux, on décidait de faire ensemble un bout du (court) chemin qui nous reste à parcourir ? Chanté par un sexagénaire, cela pourrait sembler déprimant, mais l'accompagnement au piano et quelques accords de guitares épars parviennent à enrober un refrain par ailleurs un peu malingre (on en était à combien ?) et à colorer le propos d'une forme d'optimisme lumineux, mais conscient que, dans ces matières, les enjeux sont de moins en moins importants au fur et à mesure que l'on vieillit. "Why not give it a go?" Si ça marche, tant mieux. Si non, tant pis, il y a toujours la prochaine fois.

10 - Memory of the Future (8/10)

Qu'ils sont contrariants ces chanteurs qui changent d'avis d'une chanson à l'autre. Cet enchaînement a manifestement été soigneusement pensé. La relation devenue presque sans enjeu suggérée par la chanson précédente devient ici la consécration d'une vie de recherches, "It's taken all my life to find you". Il s'agit sans doute du morceau le plus immédiatement séduisant de l'album. Les différents couplets et refrains s'enchaînent avec l'inexorable évidence des meilleures chansons pop (le changement d'ambiance à 1:30 est parfait). Pourtant, on en sort avec un goût de trop peu et l'impression désagréable d'avoir emprunté un tapis roulant circulaire qui ne mène nulle part. N'y aurait-il pas eu moyen de faire plus avec ces ingrédients, de remplir ce magnifique contenant ornemental par un contenu narratif, de parachever ce climat musical par un climax expressif ? (Note de l'éditeur : ne jamais dire trois fois ce que l'on peut dire en une) Pour la prochaine tournée, je leur suggère d'enchaîner cette chanson directement avec un autre titre qui pourrait servir de résolution à la frustration qu'elle génère, It's a sin par exemple.




11 - Everything Means Something (8,5/10)

Le plus intelligemment construit des morceaux de l'album. Comme pour le précédent, on pourrait dire que ce morceau n'évolue pas et qu'il nous ramène à son point de départ, mais l'absence d'évolution est ici compensée par les allers et retours incessants entre des couplets malaisants, sous-tendus par des percussions martiales et des notes graves de synthé symbolisant le bouillonnement de la lave du ressentiment dans le volcan endormi de l'habitude (Note de l'éditeur : non mais c'est pas bientôt fini, cette accumulation de métaphores oiseuses !) et des refrains lumineux (modulation!!! même si celle-ci est un brin cheesy) sous forme de constat détaché. Oui, tout a une signification, même les erreurs commises. On est toujours responsable des relations que l'on entretient avec d'autres et si on y attache peu d'importance, c'est déjà en soi significatif (je paraphrase). Difficile de rassembler les fils narratifs de ces trois dernières chansons. Contrairement à la rumeur, peut-être cet album n'est-il pas censé se lire comme une autobiographie ? Les grilles de lecture uniques sont si limitantes.


Pet Shop Boys - Everything Means Something (Elysiu… - MyVideo


12 - Requiem in denim and leopardskin (8/10)

Chronologiquement une des premières chansons écrites pour l'album, elle a donné le ton pour l'écriture de bon nombre des autres : thématiques du deuil, de la célébration et de la renaissance, électronique discrète sur un tapis orchestral de cordes, choeurs d'accompagnement. C'est très élégant, mais sans doute un peu trop convenu à mon goût. Le morceau souffre de la comparaison avec Legacy, le morceau qui refermait le précédent album et qui, sur une thématique assez proche, me semblait être plus imposant et receler plus de mystère. Peut-être finalement est-ce cela que l'album essaye de nous dire : la mort n'est ni imposante, ni mystérieuse. Elle est, tout simplement, et il faut faire avec, passer outre et continuer à vivre.   


Après des calculs savants, j'obtiens une moyenne assez médiocre de 7/10 et, effectivement, le sentiment qui domine est pour moi une légère déception. Elysium n'est pour moi pas tout à fait au niveau des deux précédents albums, plus disparate aussi. Pour obtenir un album thématiquement plus tenu, il aurait fallu retirer 3,4, 7 et 8. Pour obtenir le "one-mood record" que Chris appelait de ses voeux, il aurait fallu retirer 3, 5, 7 et 10.

Tel qu'il est, il reste cependant la confirmation que faire de la pop-music à 60 ans, transposer dans le cadre d'une chanson de trois minutes trente destinées aux masses des proccupations graves et marier les contraires avec humour et légèreté, c'est possible.... même s'il sont à ma connaissance les seuls à le faire (Magnetic Fields ?).

Liens : un autre chronique, parue hier, avec laquelle je suis assez d'accord

jeudi, septembre 20

Pet Shop Boys - Elysium (II)

3 - Winner (5/10)

C'est devenu un lieu commun de dire que le groupe n'est plus capable de choisir les bons singles. Nouvelle preuve ici avec Winner. Tout porterait à croire que la chanson a été écrite pour profiter de la vague médiatico-patriotique qui allait accompagner les JO de Londres. Neil prétend pourtant qu'ils l'ont écrite en pensant à l'Eurovision, comme un exercice de style : "Et si on composait une power-ballad mid-tempo hands-in-the-air à la Take That, genre Greatest Day ?"
Il aurait été miraculeux qu'une chanson aux motivations aussi peu glorieuses puisse être autre chose qu'une déception et, en effet, elle tombe à plat avec un bruit de succion triste, comme une serpillère trempée dans de l'eau tiède qu'un tenancier de bistrot,  se sentant obligé, par habitude ou lassitude, de frottouiller le carrelage de son établissement après une soirée de ventes à perte, met à terre avec un soupir désabusé. Pour tout dire, je ne peux m'empêcher de penser "Whiner" durant le refrain, terme qui correspond bien à l'intonation de Neil, plus geignarde que triomphale (2ème exemple de refrain raté). Peut-être se rend-il compte que rien n'est plus vain que de célébrer ceux qui réussissent et n'en ont pas besoin (médailles ou Rolex leur suffisent). La dernière phrase, pernicieuse, du refrain "Enjoy it while it lasts" pourrait être l'amorce d'une rédemption, le point de départ d'une réévaluation de la chanson, mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui, je veux savourer mon désappointement jusqu'à la lie, voire jusqu'à l'hallali. Le sanglier de la déception ne devient en effet touchant que lorsqu'il est aux mains des chasseurs de l'enthousiasme forcé (Note de l'éditeur : je m'étais pourtant juré de ne plus justifier des jeux de mots foireux par des métaphores qui le sont encore plus mais la chair est faible, surtout quand elle s'est fait(e?) Verbe).



4 - Your Early Stuff (7/10)
L'idée de départ est amusante : écrire une chanson à partir des commentaires que les chauffeurs de taxi font à Neil quand ils le véhiculent dans Londres ("je suppose que vous avez pris votre retraite à présent", "j'ai lu quelque part que vous aviez écrit une musique de film", "j'aimais bien que vous faisiez au début de votre carrière", etc.). Malhereusement, la réalisation n'est pas à la hauteur, surtout à cause d'un refrain désespérément plat et monotone (et de trois !). Un des couplets à 1:05 tente désespérément d'insuffler un peu d'énergie mais la chanson dans son ensemble se révèle finalement une constatation auto-réalisatrice : moi aussi, je préfère aussi leur "early stuff" à cette chanson filandreuse.

5 - A face like that (8/10)
Le positionnement après Your Early Stuff est tout sauf une coïncidence. La première minute de cette chanson aurait pu se trouver sur leur premier album. La basse, par exemple, fait beaucoup penser à celle de Love Comes Quickly, les "handclaps" aussi. AFLT sera donc le morceau où le groupe retourne au son de ses débuts et, musicalement au moins, c'est très réussi (ils en sont donc encore capables, si leur musique a évolué, ce serait plus le résultat d'un choix que d'une perte d'inspiration, c'est peut-être un détail pour vous mais j'y vois un passionnant sujet de dissertation). L'album avait besoin à ce stade d'une chanson qui, soniquement, réveille l'auditeur et AFLT remplit parfaitement ce rôle. Le refrain est particulièrement entêtant. On y parle de quelqu'un qui a un si beau visage qu'aller sur la lune ne serait plus qu'un formalité (....non, moi non plus), mais mis à part ce miraculeux effet de la régularité des traits sur la gravité universelle, le sens général des paroles reste obscur. Et ce n'est finalement pas si grave. La pop, comme la poésie, est libre d'échapper quand elle le désire à la tyrannie du signifiant.


6 - Breathing Space (9/10)
Ah, le bonheur de reprendre un peu de temps pour soi, de faire fi des contraintes et des
obligations, de se retrouver face à soi-même. De nouveau, il est tentant d'y lire un état des lieux de Neil la pop-star (comme l'était To Step Aside sur Bilingual). C'est thématiquement et musicalement le petit frère d'Invisible, en presque aussi réussi, avec un rôle accru des cordes, des guitares et des percussions. De nouveau, une chanson qui gagne à être écoutée au casque, par exemple pour les samples de voix en arrière-plan de l'intro.

Breathing Space (Elysium, Pet Shop Boys) from hcampos on Vimeo.


Est donc venu le temps des regrets et des rétractations : Andrew Dawson, je m'excuse  de toutes les horreurs que j'ai pu penser quand votre nom m'est apparu pour la première fois. Cette collaboration est officiellement un succès.


7 - Ego Music (8/10)
Your Early Stuff et Ego Music sont deux chansons qui en d'autres temps auraient été des B-sides, des chansons un peu étranges, potaches, clins d'oeil complices réservés aux fidèles. Neil se moque ici des déclarations tapageuses des stars sur les réseaux sociaux ou en interview (pensez Kanye, Gaga et consorts) pleines d'auto-satisfaction, de fausse humilité et de lieux communs, du genre "I think what fascinates people about me, and I'm really grateful to my fans, is that I'm totally fearless". On retrouve ici le gros son synthétique de AFLT, avec des ornements de synthé et des percussions très en avant dans le mix. Excellent morceau, mais qui semble un peu hors de propos dans le contexte d'un album, même si je suis sûr que Neil Tennant est conscient de l'ironie inhérente au fait d'inclure une chanson satirique intitulée Ego Music dans l'album (censément) le plus autobiographique de sa carrière.


Pet Shop Boys - Ego Music (Elysium 2012) - MyVideo

8 - Hold On (2/10 ou autre chose, allez savoir !)
Quand le premier "Hold Ooon" jaillit des enceintes comme un torrent de tisane à la verveine s'écoulant d'une prise de courant triphasé, j'éprouve une réaction de sidération abasourdie qui décourage tout discours critique. Cet optimisme forcé à la Disney, ces choeurs de comédie musicale me semblent à un tel point l'antithèse de tout ce qui fait le groupe que je ne parviens même pas à me poser la question du j'aime ou j'aime pas. La citation de Handel est appréciée et les cordes en arrière-plan aussi, mais fondamentalement les seules choses que je peux en dire, c'est "Gnnnnn??" ou le robotique "DOES! NOT! COMPUTE!!".



(la suite ici)

mercredi, septembre 19

Pet Shop Boys - Elysium (I)

2012. Pour la quatrième fois depuis mes débuts sur le Web, le deuxième meilleur groupe du monde sort un album. Comme je suis un être d'habitudes et de traditions, pour la quatrième fois, je me sens forcé de célébrer sa sortie par une chronique kilométrique et détaillée. 

Plantons le décor. Le précédent album, Yes, date de 2009 et était un feu d'artifices pop produit par Xenomania, responsables des meilleures chansons pop commerciales anglaises de ces 10 dernières années (Girls Aloud et Rachel Stevens par exemple). A suvi une tournée interminable, l'écriture d'un ballet basé sur un conte d'Andersen, puis comme à chaque fois depuis dix ans, l'attente des fans, plongés dans l'inquiétude de savoir si le groupe sortirait un jour un nouvel album.

Fin 2011, les premières informations commencent à tomber : un producteur connu pour ses collaborations avec le milieu hip-hop, Andrew Dawson, un enregistrement à Los Angeles, des ambiances plutôt mid-tempo et chill-out, ensuite un titre, Elysium. Enfin, il y a deux mois une rumeur a commencé à se répandre sur les forums spécialisés : l'album serait une digne suite à Behaviour (le quatrième album du groupe et, à ce jour, le meilleur disque de l'univers sensible). Il semblait très improbable que le disque serait à la hauteur de ces attentes, d'autant que l'idée de voir cet album produit par le producteur de Kanye West et Drake me faisait imaginer Neil la casquette à l'envers, chaîne en or autour du cou et roulant dans une décapotable sur les routes de Californie un verre de champagne à la main.....sans trop y croire certes, mais l'image s'était tout de même insidieusement imprimée dans mon esprit pétri de stéréotypes.

Enfin, dernière pièce du décor à se mettre en place, la vidéo minimaliste d'Invisible (voir plus bas), soudainement apparue sur Youtube, méthode étonnamment contemporaine de promotion de la part d'un groupe qui préfèrera toujours le CD single au "digital bundle" et Top Of The Pops à Youtube. Et je dois dire que la chanson m'avait plutôt émoustillé les papilles auriculaires : un son ample et enveloppant, une ambiance délicate et des paroles qui se révèlent petit à petit. La comparaison avec Behaviour ne semblait soudainement plus si absurde.

L'attente est dès lors devenue insupportable, jusqu'à ce qu'elle se termine et laisse la place à un long processus de découverte et d'apprivoisement.


1 - Leaving  (7,5/10)

Bizarrement présenté par beaucoup comme un des sommets de l'album et deuxième single programmé, je ne suis pas vraiment convaincu par cette chanson schizophrène. Le refrain est quelconque, voire un peu énervant (premier exemple) et fait pâle figure à côté de couplets aux petits oignons, ce qui donne au final une chanson assez déséquilibrée. Même dans les textes, ces deux parties s'assemblent difficilement, l'optimisme un peu béat du refrain se mariant mal avec les réflexions plus profondes des couplets ("The dead are still alive in memory and thought and the context they provide"). La production en revanche est charmante, par exemple l'usage des cordes, le petit pont instrumental à 2:00 ou la petite ligne de synthé rétro à 2:50.




2 - Invisible (9,5/10)

Je ne suis pas sûr que le groupe ait déjà fait une chanson soniquement aussi parfaite. L'écoute au casque est un enchantement, l'usage des échos pour les ponctuations au synthé, les mélismes en fond sonore, les voix qui se superposent, les glissandos qui accompagnent les fins de phrases. Comme dans les meilleures chansons, l'adéquation entre la musique et les textes est totale. Neil Tennant prétend que la chanson est écrite du point de vue d'une femme de 50 ans qui découvre qu'elle ne peut plus pécho en boîte, qu'elle est devenue invisible aux yeux des hommes. Personnellement, je ne peux m'empêcher d'y voir également un état des lieux actualisé de la carrière d'un groupe pop considéré du point de vue de son public-cible. Combien d'adorateurs de Lady Gaga ou Katy Perry connaissent leurs chansons, ou a fortiori, savent qu'ils viennent de sortir un nouvel album ? Quelle que soit l'interprétation choisie, cette mélodie toute en retenue, presque chuchotée, pleine de silences et de suspensions, en est une illustration parfaite. Splendide.




(la suite ici)