mercredi, mai 10

Soirée Spire, Cathédrale de Bruxelles, 7 mai 2006

Cette année, le festival "Les Nuits Botanique" s'est terminé par un grand concert de prestige à la Cathédrale Sts Michel & Gudule de Bruxelles qui rassemblait deux papes de l'électro expérimentale (Christian Fennesz et Philip Jeck), l'ensemble Musiques Nouvelles et deux organistes (Xavier Deprez et Charles Matthews). Le spectacle faisait partie de la série de concerts Spire organisée par le label Touch. Si on en croit le peu qu'en dit le site du label, cette série de concerts se veut la rencontre entre la musique électronique et la musique contemporaine pour orgues. L'adjonction ici de deux oeuvres pour orchestre à cordes semble d'ailleurs a priori être une exclusivité bruxelloise. Le programme complet du concert de Bruxelles et des autres concerts de la série est disponible ici.

Pour donner une idée de ce qu'était la soirée, il faut d'abord parler du lieu. L'idée d'organiser des concerts dans des églises n'est pas neuve et a depuis longtemps fait ses preuves. L'acoustique de ces vastes espaces clos, aux plafonds ridiculement hauts est en général très bonne. De plus, le lieu (que je n'avais jamais eu la curiosité de visiter jusqu'ici) est très beau et tout temps mort peut être passé à observer la manière dont les vitraux filtrent la lumière du jour finissant ou l'enfilement des piliers le long de la nef. Mieux, les églises continuant malgré tout à inspirer une certaine forme de recueillement, les spectateurs se sentent obligés de faire silence et osent à peine applaudir, ce qui garantit un confort d'écoute optimal.

Cette adéquation entre la musique et l'espace est particulièrement bienvenue pour les pièces pour orgues. L'orgue (d'église) est un instrument que je n'aime a priori guère car il me semble souvent inspirer les compositeurs à en faire trop et à mulitplier inutilement les voix. Même un tube comme la Toccata et Fugue en ré mineur de Bach me procure rapidement une sensation de léger écoeurement. Pourtant, les morceaux d'ouverture et de clôture du concert, Estampie 1 et 2, extraite du Robertsbridge Codex (un document du XIVème siècle) me plaisent par la manière dont ils déjouent constamment les attentes de l'auditeur du XXIème siècle, dont l'oreille est façonnée depuis toujours par son rapport à la musique tonale. A cette époque, la musique tonale ne s'était pas encore imposée et j'ai été constamment surpris par ces lignes mélodiques filandreuses qui semblent n'aller nulle part et où une large part est laissée à la répétition (on peut à ce propos aller lire ces explications techniques sur Wikipedia).
LIEN : Une version pour clavecin de Estampie (l) est disponible ici.

La suite du programme rassemble les deux papes de ce que j'appelle en général les compositeurs contemplatifs slaves, l'ensemble Musiques Nouvelles interprétant d'abord Fratres d'Arvo Pärt puis le Concerto pour Clavier de Henryk Gorecki. Fratres est une succession de courtes séquences polyphoniques pour cordes entrecoupées de silence dont l'ensemble forme une construction en soufflet (crescendo-decrescendo). C'est une musique contemplative, en suspension et d'un beauté fragile, soit tout ce que n'est pas le Concerto de Gorecki. En fait, plus je découvre Gorecki, plus j'aime Pärt. Mis à part sa scie (la Troisième symphonie, dont on a finalement assez vite fait le tour), je me rends compte que je n'aime presque rien de son oeuvre, qui manque de finesse et est décidément trop rentre-dedans à mon goût. Cela dit, on ne peut qu'être content pour l'organiste à qui Gorecki a donné l'occasion de prouver au public à quel point son instrument pouvait être bruyant. Plus tard dans la soirée, la Toccata de Maurice Duruflé m'a laissé sensiblement la même impression.

En revanche, je me suis retrouvé, à ma grande surprise, à beaucoup aimer In Nomine Lucis de Giacinto Scelsi, un compositeur sur lequel je n'avais pourtant pas un a priori très favorable. Le caractère déconstruit, à base de fragments qui se succèdent sans vraiment s'enchaîner, est la caractéristique qui me rebute en général le plus dans la musique contemporaine. Pourtant, elle me convient plutôt bien pour de la musique d'orgue, sans doute parce qu'elle empêche le compositeur d'en faire trop ou d'abuser des capacités de l'instrument. La succession d'accords dissonants qui compose In Nomine Lucis a même fini par me rendre assez enthousiaste. Je serais curieux de réentendre l'oeuvre sur disque, pour voir si mon jugement serait le même.

Pour en finir avec la partie non-électronique de la soirée, je dois confesser que la création mondiale de Drawn By Drone For Six Hands, Three Feet And One Pencil, la pièce pour orgue de Jean-Paul Dessy m'a laissé un goût de trop peu. Certes, je retrouve dans l'oeuvre des points de référence qui me plaisent (notamment le Philip Glass de Koyaanisqatsi) mais la pièce était trop courte (ou trop convenue) pour me convaincre tout à fait, ce qui ne remet pas en cause tout le bien que j'ai pu dire par ailleurs des oeuvres de Jean-Paul Dessy.

Le fil directeur des concerts "Spire" est le mariage entre l'orgue et les musiques électroniques et c'est donc sans transition aucune que Philip Jeck ou Christian Fennesz ont commencé leurs sets. Je me demandais a priori comment ces passages électroniques allaient pouvoir s'inscrire dans le contexte de la soirée. Cet étrange mariage pouvait-il réellement fonctionner ? Les premières secondes du set de Philip Jeck ont rapidement apporté la solution, qui semble a posteriori évidente. Tous les deux ont en effet basé leur set sur la matière sonore des oeuvres (acoustiques) qui précédaient, c'est-à-dire essentiellement les sons d'orgues et, pour Philip Jeck, les cordes de l'orchestre. L'un et l'autre en tirent une musique assez calme, faite de longues nappes sonores tour à tour apaisantes et angoissantes qui flottent, se croisent et se répondent. J'aurais du mal à décrire plus précisément à quoi ressemblaient ces cinquante minutes de musique mais ces passages électro ont au final été les meilleurs moments d'une soirée qui s'est au bout du compte révélée à la hauteur de mes attentes. La seule véritable critique que je puisse formuler est la manière dont le programme distribué à l'entrée abuse du mot "électro-contempo", le plus grotesque néologisme que j'aie eu la malchance de voir depuis longtemps. Je suis tout à fait en faveur du mariage des genres mais il me semble urgent de trouver un terme moins grotesque. Simplement éviter l'abréviation et écrire "électro-contemporaine" serait déjà un énorme progrès.

Aucun commentaire: