mercredi, mars 22

Fat Cat Festival, Hasselt, 10 février 2006

Je ne sais pas trop quel est le degré d'implication des responsables du label Fat Cat dans le festival du même nom. Choisissent-ils les groupes présents ? Ont-ils simplement accepté de prêter leur nom et leur image de marque au festival ? Mystère (quoique), je peux juste verser au dossier le fait qu'une poignée seulement des groupes présents sont signés sur le label et que pas un seul CD Fat Cat n'était en vente dans l'enceinte du festival. Cela étant dit, le nom n'a guère d'importance puisque ce festival ressemble à s'y méprendre au festival K-Raa-K qui a lieu chaque année au même endroit. Mêmes éclairages minimalistes, même brouhaha perpétuel, même faune faite de barbus aux cheveux longs, de lecteurs de Wire BCBG et de curieux qui se demandent avec des regards hagards dans quoi ils sont tombés.

J'aime bien me confronter à des genres musicaux ne correspondant a priori pas à ce que j'écoute à la maison et le festival Fat Cat est l'occasion rêvée d'effectuer de telles excursions vers l'inconnu. Sur les deux jours, j'ai vu cinq artistes que je connaissais vaguement de nom et un seul dont j'avais déjà écouté (et acheté) un album. Tous les autres étaient de parfaits inconnus.

Pour les néophytes dans ce genre de musique (dont je suis), un des slogans du festival pourrait être : "Oubliez tout ce que vous avez toujours cru savoir sur la musique." En effet, si on excepte les concerts se déroulant au Parquet Hall (Vashti Bunyan, Max Richter,...), les groupes présents peuvent être divisés en trois catégories : bruyants, très bruyants et très très bruyants. Les musiciens se moquent des notions de mélodie ou d'harmonie comme de leur premiers acouphènes et leur musique se crée essentiellement avec des instruments improbables (ventilateurs,...) ou tellement obscurs que seuls les lecteurs assidus de alt.music.gear pourraient les nommer : boîtiers couverts de boutons et de lumières clignotantes, pédales d'effets, etc... Tout ce fatras est en général relié par une inextricable pelote de fils électriques emmêlés autour de laquelle les musiciens, accroupis et indifférents au monde, s'affairent sans jamais lever la tête ou, au contraire, se contentent, le regard vague, de laisser les sons vivre d'eux-mêmes. Pour le poppeux que je suis, tout cela a un côté passablement aventureux et ce compte-rendu peut donc se lire comme un long aveu d'ignorance, avec notamment une fâcheuse tendance à trouver que tout se ressemble un peu (allez voir ici pour des avis plus autorisés). Pourtant, si je n'ai sans doute pas découvert durant ces deux jours mon nouveau groupe de chevet, j'en suis ressorti agréablement abasourdi (au sens figuré uniquement, grâce à une indispensable paire de bouchons).

20h00 : Antenna Farm
Les deux membres du groupe (pardon, du "projet") sont situés de part et d'autre d'une table couverte d'instruments portant sans doute des noms aussi poétiques que Digital Equalizer CV-FG535A et Analogic Sound Effects Multi-functional Toolbox HG45571-DV (Asemt pour les intimes) et, bizarrement, d'un chien en peluche. Ils fument comme des pompiers et arborent tous les deux une barbe négligée et de très seyants bonnets de laine. Ils se font régulièrement passer des petits mots sur papier (qui doivent, j'imagine, comporter des stratégies obliques du genre "Plus de basses", "Fais péter les larsens" ou "Dans trente secondes, on fait un court silence avant le bouquet final.") mais semblent pourtant le plus souvent se contenter de suivre un canevas pré-programmé. Nous n'arrivons qu'en cours de set mais le deuxième tiers contient de nombreux sons inattendus qui maintiennent mon attention. La fin en revanche m'a semblé revenir à une forme plus classique de terror-drone fschwouaaaaaarrrrresque. Imaginez John Wiese (ma référence unique, et donc absolue, dans le genre) après un bon pétard.

21h45 : Food for Animals
Je n'y connais pas grand-chose en hip-hop mais son versant mainstream m'a toujours semblé souffrir d'être toujours basé sur les mêmes types de sons (samples de soul, percussions ou électronique gentillette). En marge pourtant, toute une nouvelle génération d'expérimentateurs tentent de marier le rap avec les fonds sonores les plus improbables. J'avais déjà été épaté par l'électro destructurée utilisés par TTC lors de leur formidable set au Pukkelpop. Food For Animals va encore un cran plus loin en utilisant un fond sonore d'extreme-noise, d'electronic-terror ou de doom-drone (ou toute autre combinaison de ces six termes). Le rappeur est imposant et porte une barbe très fournie (photos via ce site), mais son "flow" est assez quelconque, typique du rap américain contemporain. Derrière lui, un guitariste s'escrime comme un beau diable (encore une expression idiote) sur son instrument sans qu'à aucun moment, on ne puisse lui attribuer la moindre parcelle du son qui se déverse des enceintes. Tout semble en fait régi par le troisième homme, préposé tout-puissant aux machines. La présence d'une voix humaine fournit indéniablement un repére pour l'auditeur, d'autant que l'arrière-plan sonore doit également contenir un semblant de beat sur lequel le rappeur puisse se baser. Il s'agit donc une musique nettement plus accessible que celle d'Antenna Farm par exemple même si, parfois, le rappeur se tait, laisse sa voix se fondre dans des échos et permet aux deux musiciens de se lâcher pour une ou deux minutes de bruit pur qui les rapprochent de la moitié des groupes du festival.

21h40 : Vashti Bunyan
Difficile de trouver contraste plus grand que celui existant entre les deux groupes qui précèdent et l'anglaise Vashti Bunyan (61 ans), folkeuse mythique des années 60-70 qui a connu récemment une renaissance grâce au patronage de gens tels que Animal Collective ou Devendra Banhart. Elle a sorti l'année dernière sur Fat Cat son deuxième album (36 ans après le premier), avec l'aide de Four Tet, Devendra Banhart ou Adem (entre autres). En fait, Vashti Bunyan semble être la première surprise de cette seconde carrière qui lui tombe dessus sans prévenir. Elle en parle d'ailleurs comme d'un "happening in her life", manière sans doute d'en souligner le caractère fortuit. En opposition totale avec les deux concerts précédents, je peux donner un nom à tous les instruments présents sur scène. Assise sur une chaise, Vashti Bunyan est entourée d'un pianiste (Max Richter), deux guitaristes, une violoniste et un violoncelliste. Elle chante avec un filet de voix très ténu (on pense à Jane Birkin ou à Nick Drake) des comptines pop légères qui peuvent rappeler le précité ou, plus près de nous, les Kings of Convenience. Un oasis de douceur dans un monde de brutes et une pause acoustique bienvenue dans le torrent électro-bruitiste qui traverse tout le festival.

22h20 : Aoki Takamasa+Tujiko Nuriko
Tujiko Nuriko est un nom que j'ai déjà croisé plusieurs fois au fil de mes lectures. J'ai même sans doute dû écouter distraitement l'enregistrement d'un de ses concerts. Forcément, j'en avais déduit que Tujiko Nuriko était une star du genre. En conséquence, lorsqu'une chanteuse et un laptoppeur sont montés sur scène et que je me suis rendu compte que les sons produits par le second couvrait entièrement la voix de la première, j'ai naturellement imaginé que Nuriko c'était lui et que Takamasa, c'était elle. J'avais tout faux et heureusement, un ami mieux informé m'a vite fait comprendre mon erreur. Apparemment, Aoki Takamasa a sorti deux bons albums solo et collabore ici avec Tujiko Nuriko, qui se contente de chanter. Durant la première moitié du concert, on se demande un peu la raison de cette configuration. Bien que la musique soit assez minimaliste (pas très éloignée du premier album de Magnetophone par exemple), sa voix est la plupart du temps couverte et, durant les rares moments où elle surnage, elle semble tout à fait incompatible avec ce que fait son collègue, comme si Tujiko Nuriko avait comme seule ligne directrice une volonté de ne tenir aucun compte d'Aoki Takamasa. Heureusement, soit que le set ait lentement évolué, soit que j'aie fini par intérioriser leur démarche, les déconstructions rythmiques m'ont progressivement semblé plus rares et la pulsation plus régulière jusqu'à créer une sorte de drone-pop qui m'a beaucoup plu. On a même eu droit pendant quelques secondes à des samples vocaux du type "Choeurs de l'Armée Rouge", petit résidu d'humanité dans une musique par ailleurs totalement désincarnée.

23h00 : Yellow Swans
C'est sur une table au pied de la scène du Café, en plein milieu du public que Yellow Swans a installé son matériel, un assemblage hallucinant de fils et de boîtiers de toutes dimensions (voir photo ici, admirez en passant le casque de chantier du spectateur au premier rang). De part et d'autre de cette table se trouvent un "guitariste" et un "chanteur", sorte de Jésus à casquette. Je ne sais pas si le groupe est connu mais le public semblait en tout cas particulièrement impatient de les entendre et, dès les premières secondes (une lente pulsation en infra-basses), les barbus à cheveux longs qui forment une proportion non négligeable du public se lâchent complètement et la fosse se transforme en un repaire de pogoteurs et de head-bangers hors de contrôle. Avec une gestuelle épileptique, le "guitariste" tire de son instrument quelques accords qui après avoir été trituré au-delà du reconnaissable par les multiples trucs, machins et bidules situés sur la table sont vomis à toute puissance par les enceintes au milieu d'une avalanche de bruits. Le "chanteur" quant à lui, pousse de temps en temps dans son micro un hurlement qui semble n'avoir aucune répercussion sur les sons produits. Je pense que le terme Extreme Noise Terror n'est pas exagéré pour qualifier le premier morceau du groupe (même si "grand n'importe quoi assourdissant" est peut-être plus parlant). Je l'ai stoïquement subi pendant cinq minutes au milieu de la mêlée avant de monter sur le balcon qui entoure la salle pour admirer d'en haut la frénésie ambiante. Le second morceau est (marginalement) plus calme, plus construit et évoque vaguement Sunn O))). Je l'ai donc forcément préféré au premier. Mon âme de sociologue s'est demandé pendant tout le set pourquoi la musique de Yellow Swans est si propice au pogo alors que celles d'Antenna Farm ou de John Wiese s'écoutent dans une immobilité recueillie. Il me manque manifestement encore quelques clés pour comprendre cet étrange milieu.

23h45 : Kemialliset Ystavat
Ces cinq Finlandais représentent une sorte de juste milieu entre les mélodies de Vashti Bunyan et le grand n'importe quoi sonique de Yellow Swans. Ils sont nombreux sur scène (cinq, de mémoire), pour la plupart accroupis ou assis autour d'une pelote de fils reliant des micros (pour les tambours, maracas, voix,...), des instruments traditionnels (guitare, basse,...), des boîtiers et des pédales d'effets et des générateurs de boum-boum-tak-tak, couverts de jolis boutons multicolores et d'écrans qui clignotent. M'étant placé au bord de la scène, accoudé à un des baffles de retour, j'ai une belle vue d'ensemble sur le fourbi invraisemblable qui jonche la scène et j'ai donc pu constater qu'une moitié seulement des trucs dont ils avaient cru bon de s'entourer ont effectivement servi (le walk-man couvert de Tipp-Ex que j'avais juste sous les yeux, par exemple, n'était manifestement là que pour faire joli). Cet éhonté gaspillage de matériel ne les a pas pourtant pas empêchés de créer une musique faite de petites touches sonores, où cellules rythmiques répétitives (j'ai parfois pensé au Dead Can Dance de Song of the Nile) et mélodiques s'imbriquent et se répondent. Ce fut pour moi un véritable réconfort de pouvoir ici relier les sons que j'entendais avec les gestes effectués par les musiciens sur la scène. Pour quelques minutes, j'ai eu à nouveau l'impression de comprendre ce qu'était la musique.

(suite ici).

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Comme toi, je ne connais que Vashti Bunyan et j'avais vaguement entendu parlé de la demoiselle japonaise. Ton compte-tendu, fort amusant, me fait regretter de ne pas avoir pu assister à ce grand rassemblement de barbus.

Anonyme a dit…

Bravo et merci, j'attend la suite avec impatience...

Anonyme a dit…

Bon, ce n'est pas trop original, c'est via ton passage dans Vox que je suis arrivé ici. Et c'est un vrai plaisir de te lire.

Anonyme a dit…

Super session live de ADEM dans le PODCAST de SELON L'HUMEUR DU CHEF !
http://www.exexalex.be/podcast/