samedi, février 5

Sens unique

Je me suis rendu compte hier que la relation qui s'installe spontanément entre un artiste et son public est finalement très confortable, pour les deux parties.

Alors que certains fans peuvent baser leur vie sur tel ou telle artiste et lui consacrer une part importante de leur temps, l'artiste n'a finalement pas grand-chose à faire pour garantir la pérennité de cette relation : sourire à la caméra, les remercier dans les notes de pochette de l'album et faire à chaque concert un rappel "imprévu" pour les remercier d'avoir été un public "exceptionnel". C'est franchement pas très exigeant et même les plus égocentriques y arrivent très bien. En fait, bien que l'artiste vive essentiellement des sentiments (bons ou mauvais) qu'il provoque, ces derniers restent pour lui une réalité abstraite qu'il ne doit que rarement affronter concrètement.

Le caractère distendu de cette relation est aussi très confortable pour le fan qui ne risque jamais d'être rejeté ou simplement jugé par l'artiste et peut donc projeter sur lui un peu ce qu'il veut sans craindre de conséquences. Imaginez un monde dans lequel un jeune disant : "Putain, Britney, quelle salope. Elle doit pomper comme une déesse." (j'ai honte...mon parler djeune est déplorable) verrait automatiquement Mme Federline-Spears apparaître, lui donner un baffe et s'en aller en pleurant. Ou bien un monde dans lequel toutes les adolescentes boutonneuses de 14 ans hurlant "Epouse-moi. Je t'aaaimme." durant les concerts de, au hasard, Billy Crawford se verraient répondre individuellement : "T'épouser toi ? Tu rêves, gamine. T'as vu ton âge.... et ta tronche ?". Ou encore un monde dans lequel tous les adolescents ayant un poster de Nirvana dans leur chambre ne pourraient plus en martyriser un plus petit, ou moins cool, sans entendre Kurt Cobain leur dire d'un air triste : "Toi, tu n'as vraiment rien compris à ce que nous faisons. Retourne écouter Limp Bizkit."

Je suis d'ailleurs tout à fait conscient qu'il y a une certaine lâcheté dans les critiques négatives que je peux parfois porter, ici ou ailleurs. Imaginons par exemple que je sois en train de parler d'Obispo dans la rue et dise un truc du genre : "Quel tocard quand même. Je ne comprends pas que, malgré une absence totale de talent, il puisse être vu par le grand public comme le meilleur songwriter français. Ca m'échappe. Zinediiiiiiiine. Je crois que ça doit être la pire chanson de tous les temps. Le degré zéro de la création musicale, de la soupe opportuniste servie par un nul pour des nuls." Imaginons ensuite que je me retourne et que, juste derrière moi, me regardant avec un regard indéchiffrable, se trouve le dit Obispo. Je suis à peu près persuadé que ma première réaction serait de lui dire "Oops. Désolé.". Quelle que soit l'opinion que l'on puisse avoir de quelqu'un, on ne l'exprime pas de la même manière quand la personne incriminée est en position de l'entendre.

Pourquoi je vous raconte tout ça ? Sans doute parce que j'en ai pleinement pris conscience hier midi. J'ai en effet eu la chance de parler au téléphone une bonne demi-heure avec un artiste pour lequel je suis transi d'admiration (Patrick Wolf, pour une interview à paraître sur la Blogothèque) et je me suis senti très vulnérable, comme un élève passant un examen. J'avais une peur panique qu'il ne se dise "Tu peux te prétendre fan autant que tu veux mais tu me montres bien par tes questions que tu ne comprends rien à ce que je fais.".

Heureusement, tout s'est plutôt bien passé (c'est un garçon très bien élevé) mais ça m'a fait prendre conscience de la chance que nous avons de ne pas avoir en général à nous préoccuper de l'opinion des artistes sur nos propres jugements.

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