mardi, juin 22

Kesto

Je dois bien avouer avoir un peu hésité avant d'acheter le nouveau coffret de 4CD de Pan Sonic. Certes, ils annoncent 234 minutes, 48 secondes et 4 centièmes de musique, mais il est tellement facile de faire long avec des machines. Une fois la boucle ou le générateur aléatoire programmé, ça ne coûte plus rien de laisser l'ordinateur créer de la durée, alors qu'en rock vient toujours un moment où le guitariste attrape une crampe et où le batteur s'arrête parce qu'il ne sait plus quelle chanson il est en train de jouer. Je craignais donc que ces 240 minutes soient un peu fastidieuses. Il n'en est heureusement, si on excepte le CD4, rien. De plus, l'objet est très beau. Un petit coffret contient les quatre CD dans leur pochette cartonnée. Sur chacun d'entre eux, une photo (dont on nous fournit gracieusement le JPEG pour en faire un économiseur d'écran. Merci Mute). Les notes de pochette sont assez minimalistes, mêmes s'ils ont gentiment pris la peine de traduire le titre des morceaux du finnois vers l'anglais.

Les CD 1 et 2 ressemblent assez fort à ce qu'ils ont pu produire par le passé. Des morceaux assez courts, une alternance de bruits, de sifflements et de rythmiques lourdes qui justifie le terme de techno minimaliste qu'on leur associe parfois (Mayhem I, II et III portent particulièrement bien leur nom). Le CD3 est plus ambient et contient, ce qui me semble assez rare chez eux, pas mal de samples. De nombreux bruits sont facilement identifiables (le disque commence par un bruit de chasse d'eau), et ils se servent de ce matériau de base pour créer de longues plages contemplatives, pleines de silence. C'est pendant ce disque que des amis de passage pourraient le plus facilement s'exclamer "C'est dingue ce que ton appartement est bruyant !". Pour peu que l'on vive dans un environnement où des bruits parasites existent, il faut chaque fois quelques secondes pour définir si ce que l'on entend vient du disque ou bien s'il s'agit d'un craquement de plancher, de bruit de l'eau circulant dans les tuyaux ou bien du bourdonnement d'un frigo. C'est quelque chose qui m'a toujours plu chez eux. Cette capacité à faire se brouiller les repères entre la musique et le bruit, le signal et les parasites (de ce point de vue, on n'est pas très éloigné de la démarche de Brian Eno théorisant l'ambient). Le CD4 est le plus jusqu'au-boutiste. Une seule plage (dédiée à Charlemagne Palestine, avec lequel ils ont collaboré apparemment) à base de longues nappes sonores, sans la moindre évolution. On peut commencer l'écoute au début, ou après 30 minutes, ça ne change rien. C'est un jeu sur la durée qui rejoint en cela les travaux de Brian Eno (toujours lui, il faut que j'arrête de le citer à tout bout de champ, on se croirait dans les Inrocks) dans des disques tels que Thursday Afternoon ou Neroli. Sur ce quatrième CD, on atteint une sorte de limite de ce que je suis capable de comprendre et d'apprécier sur un disque. Si ce n'est pas désagréable à écouter dans certaines circonstances, ça laisse quand même un léger arrière-goût d'inutilité. A quoi bon refaire un disque sur ces prémisses, quand cela a déjà été fait maintes fois par d'autres, parfois 20 ans plus tôt ?

En revanche, sur les trois premiers disques, j'ai accroché tout de suite, ce qui ne laisse jamais de m'étonner. J'ai a priori du mal à expliquer mon attrait pour la musique de Pan Sonic. Pourquoi eux et pas Merzbow ou Oval ou tous les autres tenants de ce genre de recherches sonores ? A bien y réfléchir, peut-être parce que, bien que le disque soit entièrement électronique et que l'on puisse légitimement penser que l'idée même d'instruments acoustiques leur est étrangère, il y a quelque chose dans les rythmes et dans les fréquences utilisés qui fait de leur musique quelque chose de concret, d'incarné, de quasiment organique : on croit entendre de la pluie, un coeur qui bat, une respiration, des bruits de pas, et les rythmiques ont le temps de prendre vie, de diffuser leur pouvoir hypnotique, d'entrer en résonance avec le rythme propre au corps de l'auditeur. L'ensemble crée un univers dans laquelle on peut se perdre et retrouver des repères familiers. C'est sans doute dans ce contraste entre une musique abstraite, froide, entièrement artificielle, parfois à la limite de l'expérimentation, et l'impression d'humanité qui s'en dégage qu'il faut sans doute chercher l'origine de la fascination qu'elle exerce.

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