vendredi, avril 5

Release

Bon, je vous l'ai promis, la voici. Mon avis, ferme et définitif qui, avec une clarté indiscutable vous apprendra, telle une illumination divine, ce qu'il faut exactement penser du nouvel album des Pet Shop Boys. Ne vous avisez pas d'avoir un avis contraire.

Lorsque les premières informations sur le nouvel album sont arrivées, il y a un an environ, les fans se sont très vite séparés en deux clans. D'un côté, ceux qui ont toujours eu envie de voir les PSB faire un deuxième Behaviour, un disque moins dance, moins léger, plus introspectif. Ceux-là (dont moi) étaient a priori ravis. D'autres au contraire accueillaient la nouvelle d'une direction acoustique, voire rock avec des tremblements de colère et hurlaient à la trahison.

Et effectivement, le disque, s'il reste indubitablement proche de ce que les PSB ont fait jusqu'à présent, représente un recentrage vers une indie-pop acoustique à laquelle ils ne nous avaient que rarement habitués. Johnny Marr joue sur la majorité des titres de l'album (7 je crois), et les synthés se sont faits discrets. Thématiquement, on a un disque étonnamment personnel, où Neil retrouve le goût de la narration et du sens. Un heureux changement quand on se rappelle de l'album précédent, dans lequel les paroles étaient sacrifiées à la musique et surtout à la production (David Morales, Craig Armstrong et Rollo Armstrong s'y collaient). Ici, on retrouve des textes intéressants, et une production très discrète. C'est sans aucun doute le gros point positif de Release. Certains regrettent que Neil soit ici trop sincère et personnel, pas assez manipulateur. Ce sont les mêmes qui adoraient le côté sarcastique, voire cynique de Opportunities ou Shameless. Et effectivement, par bien des points, Release est un disque au premier degré.

Release comporte 10 titres :

1) Home and dry (aka la chanson qui fait penser à the Police aka premier single extrait de l'album). (7)

So my baby's on the road / Doing business, selling loads / Charming everyone there / With the sweetest smile / Oh tonight / I miss you / Oh tonight / I wish you could be here with me / but I wont see you till you've made it back again / Home and Dry // Through night and day / you fly on home tonight / come to me / you know I'll be here / when you call tonight

Une chanson très très simple, trop peut-être, qui se déroule gentiment sans agresser outre mesure l'auditeur. Les paroles qui relatent la douleur de voir sa moitié voyager sans arrêt à l'autre bout du monde sont d'un intérêt relatif. Il y a une habitude récente chez les PSB qui est de ne pas sortir en single leurs meilleurs morceaux. On peut sans doute imputer ça au fait que, depuis quelques années, quand ils veulent faire un hit, ils se plantent. Ils n'arrivent plus à composer pour les
masses. Du coup, leurs meilleures chansons restent dans l'ombre.


2) I get along (aka la chanson qui fait penser à Oasis, aka la chanson qui fait penser aux Beatles, aka la chanson qui fait penser à Travis, aka le deuxième single) (6)

I've been trying not to cry / when I'm in the public eye / stuck here with the shame / I'm taking my share of the blame / while making sudden plans that don't include you I get along, get along / without you very well / I get along very well

De toutes parts, on prédit que ce sera un tube énorme, mais j'en doute. Le fait est que j'ai un peu de mal avec cette chanson. Certes, les premières fois qu'on l'entend, elle est d'une efficacité redoutable, mais d'un autre côté, elle est très courte en bouche, et on s'en lasse assez vite. Pour l'anecdote, la chanson n'a pas été écrite dans une perspective amoureuse, mais en pensant à Tony Blair et Peter Mandelson. Sacré Neil.


3) Birthday boy (aka that weird Christmas song, aka Boy strange's back) (10)

Birthday boy can't explain / Christmas Eve he's born again / On the line a broken train / going nowhere endless rain / Birthday boy so afraid / plays the machines in the arcade Oh baby, do you remember / he's been though all this before / Spent the summer / getting nowhere / Taking all of the blame / for the city / Calculating / from pain comes pity If you knew his name / would you feel the same?

Un hommage à ceux qui, par leur mort, ont fait bouger les choses ou ont été le révélateur de quelque chose : Jésus bien sûr, mais aussi Rodney King ou Matthew Shepard. Il y a dans ce titre un souffle extraordinaire. La chanson commence très calmement, monte progressivement et finit par complètement submerger l'auditeur. Vraiment extraordinaire.


4) London (aka la chanson qui fait penser à Cher parce qu'il y a du vocodeyr dedans) (7)

We came from the far north summered in Crimea / Deserted the armed forces had to disappear / Made it to the free west on a chartered flight / So we could see what we trained to fight // We were in London / Let's do it / Let's break the law / We were in London / Tell it like it is // Looking for hardware or credit-card fraud / What do you expect from us? / We come from abroad / to get ourselves a new job on a building site / They work you so hard but we trained to fight

Ou le retour vers des textes engagés. Il y a toujours eu chez eux un côté vieux socialo. Ils ont écrit des chansons sur la privatisation des services publics, sur les chômeurs, les sans-abris, etc... Ici, ils parlent de deux soldats russes qui désertent et viennent se réfugier à Londres pour tenter de faire leur vie. Jolie chanson, jolie mélodie, mais un côté un peu cheap dans la production qui me gâche un peu mon plaisir à dire vrai. La batterie synthétique claque, le vocodeur (discrètement présent tout au long de l'album) est ici un peu trop marqué. Ses arrangements plombent un peu la chanson qui ne parvient pas vraiment à décoller. Dommage.

5) E-mail (7)

Communications never been / as easy as today / And it would make me happy / when you'd gone so far away / you'd send me an email that says "I love you"

Sans doute la chanson où, effectivement, on les sent un peu trop écrire au premier degré. Ils ont l'air de quarantenaires qui découvrent soudain la modernité. Certes c'est touchant, mais c'est aussi un peu nunuche, ce qui fait qu'on peut difficilement s'y investir. Musicalement, ça reste assez basique, en phase avec les paroles.

6) The samurai un autumn (9)

It's not as easy as it was / or as difficult as it could be / for the samurai in autumn

Ce morceau quasi-instrumental fait beaucoup penser à Relentless et poursuit la veine autobiographique des PSB. A leurs débuts, ils ont écrit une chanson sur la création du groupe. Elle s'appelait 'Opportunities (let's make lots of money)' et a fait que pendant longtemps, on a associé les PSB à un certain cynisme. Au faîte de leur gloire, ils ont écrit 'Shameless' (We're shameless, we'd do anything to get our 15 minutes of fame) qui enfonçait le clou en montrant l'arrogance de ceux qui ont réussi. Ensuite dans to Step Aside, Neil, la quarantaine, se demandait s'il ne serait pas temps de lever le pied. A quoi bon continuer ? Le succès l'a-t-il rendu heureux ? Samurai in Autumn représente un peu le dernier volet de la série. Sur une musique électro un peu datée (forcément) Neil évoque leur situation actuelle, et c'est infiniment touchant.

7) Love is a catastrophe (aka Heartbroken Neil part 1) (10)

Love is a catastrophe / Look what it's done to me / Brought me down here so low / Stranded nowhere to go // No concentration / Just rerunning conversation / Trying to understand / how I fell into this quicksand // What happens next / with life I'm unimpressed / pain like a cutter's knife / Never been lonelier in my life // Who issued the instruction / for this mad act of destruction? / An end to equilibrium / Fate laughs: "Look what we've done to him" // I went through the trees / Falling November leaves / A weak sun hanging low / Summer seems so long ago // All my former dreams / tender romantic schemes / revealed as so naive / to think I could believe / in love as the kindest law / not as a declaration of war / On my life and sanity / Now I know at least for me / love is a catastrophe

Clairement, lorsque Release a été écrit, Neil venait de se faire larguer. Cette chanson le prouve. Je vous avouerai bien volontiers que la première fois que j'ai lu ce texte, j'ai eu les yeux humides (surtout si on enchaîne après sur You choose). Ils n'ont jamais rien écrit de si émouvant, et ne se sont jamais autant dévoilés. Dans toutes leurs chansons, même les plus personnelles, il y avait toujours une distance, un regard un peu ironique. Ici, rien de tout çela. Un riff lancinant accompagne la mélodie plaintive de Neil qui progressivement va prendre de l'ampleur, aller même jusqu'à la colère, avant de refluer subitement vers un soupir. Et c'est absolument splendide. Sans discussion possible.

8) Here (9)

We all have a dream of a place we belong / The fire is burning, the radio's on / Somebody smiles and it means I love you / But sometimes we don't notice when the dream has come true // You've got a home here / Call it what you want you've got a home here / To return to when you can't / Face the world and you need some support / To succeed, you've got a home

La seule chanson à sonner franchement synthétique. Elle a en fait été composée pour la comédie musicale Closer to heaven, et pour des raisons de scénario, n'est pas apparue dans la version finale. Heureusement, elle a trouvé refuge sur cet album. Une jolie mélodie un peu rêveuse. Une ode au cocooning, à la famille peut-être, sur ce qui reste quand tout a disparu.

9) The night I fell in love (7)

I was backstage / Couldn't believe my luck was in / I saw him approach / wearing the most approachable grin / When he said "Hello" I was surprised / He spoke so politely / I said I'd liked the show / Well, he just smiled / I guess it happens nightly and so / I fell in love

De quoi peut-il bien parler ? Voyons la suite.

We went to his room / He had a video camera / I was so nervous / I had to try hard not to stammer / He said "I'm glad you liked the show. / That crowd was dope out there tonight" "Alright" / "You wanna see some more? / Well, be my guest / You can have a private performance. / I'd fallen in love"

Oh oh ! Ca se corse. Et puis ?

I didn't ask why / though he seemed like such a regular guy / He said we could be secret lovers / just him and me / then he joked, "Hey man / you're name isn't Stan, is it? / We should be together"

Noooooon. Ils n'ont pas osé ????

Et bien si. L'idée de départ est grandiose, Eminem faisant la chose avec un de ses fans. J'aimerais beaucoup qu'en retour mon ami M&M leur consacre un couplet dans son prochain single. Dommage cependant que ce soit musicalement, et de loin, la chanson la plus faible de l'album. La boîte à rythme y est envahissante, la mélodie est filandreuse, et il n'y a guère d'instrumentation. Chouette idée, mais pas très bien réalisée. Les chansons d'Eminem sont bien meilleures.

10) You choose (aka Heartbroken Neil part 2) (10)

He's gone, you've lost / Stay behind and count the cost / You try, you loose / You don't fall in love by chance / You choose It's a decision made overtime / Should you take the risk and start to climb / the steepest hill only to find / halfway there you've been left behind // Choosing to love is risking a lot / And trying to change and to keep all you've got / But don't pretend it comes out of the blue / You take a chance and see it through / And if it's refused what can you do? / Continue hopefully / Start anew // Lick your wounds buy your booze / You won't get drunk by accidental choose / Don't blame him for refusing your bid / He didn't decide to
love / you did // Learn the lesson take the blows / You didn't fall in love by chance - you chose // Play the sad songs, sing the blues / You don't fall in love by chance - you chose

Il y a presque 20 ans, ils avaient écrit 'Love comes quickly and whatever you do you can't stop falling'. Ici, ils se contredisent 'You don't fall in love by chance, you choose'. L'amour est un pari, et on peut le perdre (c'est le cas le plus fréquent). C'est la deuxième partie d'un diptyque, un miroir à Love is a catastrophe, en encore plus désespéré puisqu'il se rend compte ici qu'il n'a qu'à s'en prendre à lui-même. C'est dans cette chanson sans doute que l'on trouve la plus belle mélodie, et que la guitare de Johnny Marr est la plus reconnaissable.

Donc, si on fait le bilan, Release est un très net retour en forme. Certes, l'album est un peu inégal. Il y a dessus quatre morceaux assez moyens, mais on y trouve aussi quelques chansons parmi les plus belles qu'ils aient jamais écrites. Commercialement, sortir un album de ce type qui va leur aliéner une bonne part de leurs fans habituels sans en créer de nouveaux est une sorte de suicide (dont apparemment il ne sont pas conscients), mais c'est sans doute la meilleure réponse qu'ils pouvaient apporter à ceux qui trouvaient que Nightlife marquait une sorte d'impasse artistique.

C'est un peu un disque de vieux aussi. Mais que voulez-vous, je ne suis plus tout jeune.